Quand l’eau se fait aussi rare que le respect : les coulisses de la SMAE
Les secrets d’une gestion de l’eau pas comme les autres
“Je bois de l'eau du robinet tous les jours et avant que vous me posiez la question non, aucun rapport avec le troisième bras qui est en train de pousser !“ Françoise Fournial, directrice de la SMAE
Dans un contexte où les critiques sur la gestion de l'eau à Mayotte se multiplient, nous avons accepté l'invitation de Françoise Fournial, directrice de la SMAE, pour un tour des locaux. L’objectif était clair : démystifier les opérations et découvrir les véritables coulisses de cette institution souvent critiquée pour ses coupures impromptues et ses lacunes apparentes.
“ Je comprends les préoccupations des habitants, mais laissez-moi vous montrer comment nous travaillons ici. Vous verrez, il y a une logique derrière tout ce que nous faisons ! ”
Notre visite des locaux de la SMAE débute par les bureaux situés au premier étage, vers lequel Françoise Fournial nous guide avec assurance. À notre arrivée, nous découvrons un espace animé où des employés sont réunis autour de grandes tables, chacun concentré sur des jeux de Puissance 4 et de coinche. La pièce est décorée de banderoles colorées et de tableaux de scores, avec une atmosphère de compétition palpable.
“ Ici, nous avons deux tournois hebdomadaires : puissance 4 et coinche ” , explique Françoise avec une fierté non dissimulée. Elle continue :
“ Vous me parliez des coupures impromptues… Je vais vous expliquer ! Chaque village est représenté par un de nos employés. À chaque fois que l’employé ou son équipe est éliminé, BAM, nous effectuons une coupure d’eau dans son village. Ah, là, vous voyez ? Djamila vient d’être éliminée… C’est Dembeni qui va déguster. C’est une manière de motiver tout le monde et de créer un environnement de travail stimulant. Rendons à César ce qui est à César : c’est le service RH qui a eu cette idée ! ”
Les Calendriers de la SMAE
Lors de notre visite, l'attention s’est portée sur un mur décoré de calendriers. Ce qui semblait être une décoration anodine s’est révélé être une initiative audacieuse de la SMAE :
“ Les Héros de l’Eau de MayHot ”
Inspiré par les célèbres calendriers des pompiers, ce nouveau calendrier présente chaque mois un employé de la SMAE dans une pose érotique avec divers accessoires tels que des bassines, des compteurs d’eau ou bien des bouteilles d’eau.
Les photos sont accompagnées de citations philosophiques telles que :
Regarde mon gros tuyau
Oups, je crois que j’ai la goutte
Dans un souci de parité, le calendrier inclut également des clichés de femmes, accompagnés de citations inspirantes. Nous avons ainsi pu voir Miss Février, Miss Septembre et Miss Octobre, respectivement :
Fais-moi tourner comme un robinet
Remplis-moi comme ta bassine
À la SMAE, il n’y a pas que l’eau qu’on aime pomper
“ Ces calendriers jouent un rôle important dans le financement des projets d’infrastructure en plus de motiver les troupes. D’ailleurs, voilà le préfet qui vient prendre le sien ! ”
Nous avons saisi l’occasion pour l’interroger sur la distribution de l’eau et la possibilité que la saison des pluies arrive bien plus tard que prévu. Avec un sourire plein de confiance, il a répondu :
“ La pluie va venir, je le sens dans mes genoux ”.
Le représentant de l’État a ensuite exprimé sa fierté envers la population, en soulignant que lors des réunions avec le bureau d’études engagé par la SMAE, il avait été informé des efforts admirables des citoyens pour rationner leur utilisation de l'eau.
Lors des coupures, les habitants font preuve d'une remarquable adaptabilité et réduisent leur consommation d'eau de manière significative. C'est admirable et témoigne de leur engagement et de leur sens des responsabilités face à cette situation. Nous avons vraiment de la chance d’avoir une communauté aussi compréhensive et coopérative. Je tiens cependant à être clair : la situation n’est pas aussi catastrophique qu’on le prétend. Franchement, je ne remarque pas qu'il y ait tant de coupures que ça. En tout cas, chez moi, l'eau coule très bien !
À peine le représentant de l’Etat parti, Françoise Fournial, visiblement émue, s'est confiée. “Le préfet nous encourage mais tout n’est pas toujours rose vous savez… Je suis abattue par le manque de considération de nos clients. Nous nous engageons pleinement dans l'augmentation du pouvoir d'achat des mahorais. La plupart du temps, en réalisant des coupures les factures d’eau baissent. Nous permettons ainsi aux clients de faire des économies. À ce jour, je n'ai reçu aucun courrier de remerciement. Je ne comprends pas. Je suis abasourdie”.
C’est sur cette note aigre-douce que nous avons quitté les locaux de cette triste institution pour nous rendre en métropole, où une campagne de prévention et de récolte de fonds a lieu afin de sauver Mayotte et ses habitants.
SOS Mayotte
Roger, 56 ans, accoudé au comptoir du PMU de son petit village d'Ansouis-les-Moucherolles, observe son verre de Ricard avec une moue dubitative. “Je plains les Mayottains ! Vivre sans eau… Comment ils font ? J’veux dire l’Ricard pur, c’est quand même pas bien bon ! Aller, santé ! Mais pas des pieds ! Hahahahaha ”. Il lance cette boutade, puis s'arrête un instant pour réfléchir. “ Ils vont comprendre la blague à Mayotte ? Comment on dit pieds en Mayoté? ”. interroge-t-il un peu gêné.
La campagne de soutien à Mayotte a également su se faire une place jusque dans les événements les plus prestigieux. Durant les JO, les marathoniens ont ainsi été invités tout le long du parcours à goûter de l'eau aromatisée aux saveurs locales de Mayotte, comme la vanille, le ylang-ylang, ou encore le choléra.
Nous sommes revenus à Mayotte avec l’espoir que cette campagne de prévention permette une réelle prise de conscience. Une chose est sûre, avoir de l’eau à Mayotte ca ne coule pas de source.